L'erreur, en référence à quoi?
à partir de la lecture de : Comment l'enfant devient élève, éd Retz
René Amigues et
Marie-Thèrèse Zerbato-Poudou
Le
statut de l'erreur à évolué et il est maintenant accepté que l'erreur soit
tolérable et qu'elle n'est pas condamnable ! L'élève
a acquis le droit de se tromper , il n'est plus en
faute, quoique ... Il reste des appréciation du genre: Bien ou Mal dans
certaines marges de cahier . Il y a donc un progrès de l'acceptation de Qui
fait une erreur. La « morale » scolaire a
évolué et cela a conduit à la production de fichiers scolaires
auto-correctifs qui permettent à l'élève de « trouver » ses erreurs
ou de les corriger, en fonction d'un modèle ou d'une correction proposée. Si le
« Qui a fait une erreur » a évolué, il reste cependant à se pencher
sur le Quoi, c'est à dire sur la nature et la perception de l'erreur. En
effet pour pouvoir corriger une erreur il faut avoir pris conscience de cette
erreur. Très souvent l'élève prend conscience d'une différence entre ce qu'il
a réalisé et ce qu'on attendait de lui, mais a-t-il pour autant pris
conscience d'avoir fait une erreur c'est à dire, a-t-il réalisé que cette
différence n'est pas en conformité par rapport à un possible dont la justesse
lui échappe ? Souvent il réalise que sa production n'est pas en conformité
avec ce qu'attendait l'enseignant ou à ce que le modèle ou la correction lui
propose. Il constate une différence et il corrige sa réalisation en enlevant
cette différence pour mettre à sa place ce qu'il a vu dans la correction
proposée. Mais pour autant a-t-il fait un progrès, a-t-il perçu la nature et
le pourquoi de son erreur ? Quand un élève
s'auto-corrige sur un exercice d'entraînement, il est supposé connaître les
règles qui régissent la justesse de ces exercices .
On peut alors penser qu'il peut corriger des erreurs qui relèvent de
l'étourderie, de l'inattention, de la consolidation. Un simple rappel de la
règle permet à cet élève de vérifier sa production et de corriger l'erreur
parce qu'il connaît
déjà les règles à appliquer. Mais si un élève ne connaît pas la règle juste,
s'il l'applique sans la comprendre , il va percevoir
une différence ente sa réalisation et la correction qui lui est proposée mais
il ne comprendra toujours pas le pourquoi de son erreur. Il ne sera donc pas
question de la correction d'une erreur mais d'un changement réalisé dans
production, dans une trace. L'erreur, la non justesse de la réalisation, va
persister dans la pensée de l'élève, intacte ! Il
faudra qu'une interaction se réalise avec quelqu'un, que la différence soit
distinguée, analysée et justifiée pour qu'une appréciation autre soit
envisageable par l'élève qui a commis cette erreur. On n'apprend pas tout seul
parce qu'on ne peut pas imaginer un possible différent de qu'on n'est pas en
capacité de concevoir ! Sur le moment, parce que
tout élève avec qui se produit un échange peut accéder à l'appropriation d'un
possible différent, en particulier quand les conditions de cet échange
favorisent chez l'élève l'intérêt et que les moyens lui sont offert pour
qu'il puisse envisager l'erreur, l'accepter et y remédier . Alors à
quoi peut-on se référer pour aider un élève à corriger une erreur
? Un
modèle, une correction prête, vont donner souvent une aide à la perception de
la différence du produit réalisé,souvent un objet en
maternelle, une trace en élémentaire. Un échange sur la réalisation, en
référence avec sa validité dans le domaine concerné (
compréhension de ce qui est lu, écrit, dessiné, construit) , va aider
l'élève à trouver la propriété qui n'est pas prise en compte, la relation de
cause à effet qui découle de certaines marques présentes ou absentes, à
énoncer une règle qui est ou non nécessaire, à chercher donc, en quoi cette
différence qui est constatée peut faire avancer sa pensée vers une autre
forme de proposition en la justifiant. C'est quand il aura trouvé, après
réflexion, une autre proposition plus adéquate, que l'élève pourra comprendre
en quoi il avait fait une erreur. Il est alors en mesure de percevoir l'écart
entre sa réalisation et la correction, non seulement dans sa différence mais
aussi dans sa nature ou dans sa fonction. Il aura pris dans la situation de
l'échange une mise à distance avec sa réalisation. Il ne sera plus contraint
par l'immédiateté de l'action et il pourra se séparer de la vision du support
concret pour envisager à partir de la parole de l'autre une réalisation
éventuellement non visible , proche de la sienne d'une certaine façon mais
dont certains paramètres auront fait évoluer les composants ou l'organisation.
Cette distance se construira d'elle même si l'évaluation n'est pas réalisée
seulement à partir de la comparaison de la perception de deux traces visibles
mais à partir de ce que leur différence signifie. Cela force l'élève à donner un
sens à cette différence et cela permet de situer la réalisation dans un
domaine ou dans un champ particulier, qui possède ses règles d'organisation
et ses paramètres de fonctionnement. L'écriture
n'est pas du dessin ou du graphisme, les lettres s'écrivent en fonction d'une
taille et d'un espace. La compréhension d'un mot suppose un ordre des lettres , une orthographe et une signification. La
compréhension d'une phrase suppose un ordre des mots ,
une orthographe d'usage et une orthographe grammaticale et offre une richesse
et une signification particulière en fonction de son contexte. Les signes
mathématiques possèdent une signification particulière. La solution à un problème suppose de prendre
en compte les données nécessaires et de trouver les différentes
transformations ou opérations qui permettent de calculer des réponses. La
justesse des réponses doit prendre en compte des unités particulières et un
ordre de grandeur. La compréhension d'un élément du vivant suppose de prendre
en compte son mode de vie, son biotope et de penser dans quelles conditions
il peut s'acclimater à un environnement donné , etc ... Il
s'agit bien alors d'une situation d'apprentissage, dans l'échange, avec prise
de conscience d'une erreur qui devient la source d'un questionnement et d'une
évolution de la pensée. Quand l'école permet et favorise ces situations, elle
offre à l'élève une qualité de développement qui se structure dans un rapport
à l'autre nécessaire: l'échange, l'écoute, la prise en compte des points de
vue, mais aussi dans un rapport au savoir qui demande à être construit,
déconstruit, défini, analysé . Une référence commune
sert de base aux échanges, une culture commune s'élabore. La compréhension de
l'autre ,et de ce qui se dit, relie les partenaires de l'échange, crée et
fortifie des liens dans la construction de la reconnaissance et de l'identité
de chacun, et dans l'élaboration de savoirs qui sont, de fait,
situés dans la communication, dans le sens, dans la validité et
l'authenticité. L'évaluation se réalise naturellement par
l'élève qui prend conscience de ce qui a été nouveau
et possible. Pour
que ces échanges soient possibles, des conditions de sécurité affectives sont
nécessaires ( respect de la parole, de la personne) mais
aussi des conditions d'institutionnalisation: savoir que cela est possible a un
moment donné, à un endroit donné, pour pouvoir se préparer à la remise en
question et l'accueillir positivement, pour se remémorer les règles en vigueur
dans ce type de moment et faire appel aux savoirs nécessaires à l'évolution
des échanges. La régularité de ces moments institutionnels permet le
changement de rôles, l'appropriation des règles nécessaires et la certitude
que ce moment reste confortable. L'apprentissage
construit alors un enrichissement de la personne qui donne de l'intérêt à la
situation et qui motive l'élève à participer de nouveau à ces activités. Le
savoir enrichit, valorise, et la discussion et les débats aident à construire
une identité positive et reconnue. Les savoirs sont situés dans des domaines
qui font sens parce qu'ils sont communicables et communiqués et ils situent
en retour une vision du monde et de ses composants dans un rapport qui évolue
et l'agrandit. La part
du maître demande
donc d'organiser des temps et des lieux dans lesquels ce type d'échanges
soient possibles institutionnellement, que des règles soient élaborées pour qu'ils soient
organisés dans le respect de tous et donc de chacun, et qu'il en soit le
garant. Mais
le maître doit aussi penser à la mise à disposition de moments et de lieux
différents, distincts , où l'expression et les
essais (individuels, à deux, entre copains) sont possibles, où le faire
semblant peut l'emporter sur la réalité, où la mise en scène est entièrement
dévolue à l'élève, ainsi que le choix des moyens, avec d'autres règles qui
permettent là encore que tous et chacun puisse vivre en sécurité. L'école prend alors une fonction qui permet de la démarquer de l'espace familial. Les temps, les lieux et les activités ne sont pas du même ordre. Les règles de vie supposent le partage et le respect de nombreux partenaires , différents de par leur âge ou leur rôle. La socialisation se différencie et la citoyenneté commence à poindre. Des droits et des devoirs sont signifiés qui permettent de vivre et d'apprendre ensemble. Le statut de l'erreur prend une coloration particulière reliée à l'échange avec les membres d'une petite société qui sont à la fois proches et différents de ceux de la sphère familiale. La maternelle a pour vocation de construire en douceur la séparation d'avec la famille. Cela suppose de savoir énoncer clairement (avec ouverture et empathie sur les personnes et les savoirs mais avec rigueur sur les possibles et les limites ) les différences de rythme, d'usage dans des lieux différents, de règles en fonction de lieux et de moments particuliers, de comportements en fonction des groupes de travail, des projets, des domaines de savoirs, des activités . Cette clarté dans les attentes de l'institution et de l'enseignant doit être permanente, renouvelée chaque jour pour aider l'enfant à se situer et à prendre des repères solides dans une image d'élève qui prendra plaisir à venir à l'école pour y apprendre avec d'autres des choses qui l'intéressent et l'enrichissent. Des habitudes naissent et des automatismes se créent. Leur nature et leur qualité amèneront l'enfant de maternelle à se situer comme un élève curieux ou discret, autonome ou indépendant, créatif ou obéissant ... Il saura naturellement ranger, partager, attendre son tour, aider, ne pas gaspiller, si le temps passé à l'école lui a permis de constater l'importance de la nécessité de ces attitudes dans la vie de tous les jours, pour lui et pour les autres. |