Apprendre à lire en 2012….
Les hommes ont inventé
l’écriture pour garder la mémoire de qu’ils avaient dit ou pensé. Ils ont
donc inventé une trace qui serait lisible par d’autres. Ils ont eu recours à
des signes écrits dont la nature et la combinaison varient suivant les
langues. Notre langue est
transcrite suivant le principe alphabétique ; il y a 26 lettres dans
notre alphabet et c’est à partir de la combinaison de ces 26 lettres que l’on
arrive à transcrire ce qui est dit ou pensé, sous la forme de mots, séparés à
l’écrit depuis le Moyen âge. L’enfant
, pour apprendre à
lire, doit donc connaître les 26 lettres et comprendre ce principe
alphabétique que l’on pourrait résumer simplement par : le plus souvent
une consonne + une voyelle associée permettent de composer une syllabe ;
un mot est composé de plusieurs syllabes et plusieurs mots composent un
message. C’est sur ce
mode de composition , par éléments séparés,
juxtaposés puis combinés, que fonctionne l’apprentissage de la lecture qu’on a appelé : Le reproche fait
à cette méthode était lié au fait que les éléments pris en compte , les
lettres puis les syllabes, étaient dénués de sens pour l’élève et que pour
accéder à la compréhension d’une phrase, il fallait que l’enfant ait eu la capacité de combiner les lettres
puis les syllabes puis les mots sans pour autant s’appuyer sur une
signification. Cela supposait un « emboîtement » de connaissances
formelles, abstraites, successives, dont le nombre était important pour la
mise en mémoire immédiate . Quand les élèves ne
possédaient pas déjà un lien fort avec le sens des mots ou phrases, ce qui
pouvait les aider à garder en lien cette mémoire immédiate, ils avaient des
difficultés à donner du sens à ces différentes associations ou combinaisons. Il y avait peu
d’images proposées ; le plus souvent une image globale qui présentait
tous les éléments du texte dans leur contexte. C’est sur la compréhension de
cette image globale que se fondait souvent la compréhension des élèves , quand on leur donnait les liens , ou qu’ils
avaient la capacité de comprendre la complexité de cette image. Cette méthode
d’apprentissage de la lecture permettait aux enseignants de réaliser un
apprentissage identique pour tous; les élèves devant donc apprendre la même
chose, de la même façon, au même moment . Une autre approche , qu’on a appelée Un compromis est
ensuite apparu sous la forme de ce que l’on a appelé Ce compromis
était réalisé avec plus ou moins de réussite ,
suivant la capacité des enseignants à doser, pour chacun des élèves, les
moments de mise en relation de la composition et décomposition des mots ,
avec la recherche et la permanence de la signification des mots. Conserver l’idée
qu’un mot possède une signification n’est pas toujours possible à l’élève qui
concentre son attention et ses capacités sur la reconnaissance des lettres et
leur combinaison . Il peut ne pas avoir la
capacité à évoquer une image qui fasse sens en lien avec sa proposition de
combinaison parce qu’il n’a pas de référence immédiate en mémoire
, ou oublier le contexte de sens de la phrase. C’est bien sur
la base de cette différence d’accès à une signification pertinente que les
écarts se creusent entre les apprentis lecteurs et que les classes de CP
deviennent de plus en plus hétérogènes. Pour aider les
élèves à une construction du sens on a eu recours à l’image. On a vu
apparaître de plus en plus d’images dans les manuels de lecture ; images
qui représentaient le plus souvent des éléments isolés : objets,
personnages, action isolée, et les
élèves ont pris l’habitude de regarder les images pour réaliser une correspondance
terme à terme et construire le sens d’un mot : une image, un mot . Ce faisant on
n’a pas pris en compte que cela n’aidait pas l’enfant à rentrer dans la
complexité du système ni dans le fait que cela ne l’aidait pas non plus à construire
sa capacité d’évocation. Il pouvait donc trouver le sens du mot mais sans
construire un lien avec le contexte et donc sans progresser dans son rapport au sens. Pour aider
l’élève à progresser dans ce rapport au sens, on peut l’aider à construire
son autonomie dans la capacité de compréhension. Une confrontation,
systématique, mais non dévalorisante, est nécessaire pour qu’il puisse
prendre conscience que sa proposition de combinaison ne peut être validée
parce qu’elle ne construit pas le sens de la phrase. Ce type d’apprentissage
demande à l’enseignant du temps et de la disponibilité parce qu’il doit
composer avec chaque élève en fonction de son rythme. Dans les années
70- 80 la recherche pédagogique foisonnante a mis en avant les capacités des « bons
lecteurs » : -
Une
capacité importante de combiner les lettres et de les relier avec l’évocation
d’un mot qui fasse sens ; au
point de souvent « deviner » le sens du mot sur la reconnaissance
de la première syllabe qui suffisait à elle seule à évoquer le mot pertinent . ( La
décomposition totale du mot n’était pas alors réalisée et pour certains cela
posait parfois des problèmes d’analyse insuffisante et de confusion.) -
Une
perception auditive qui permet de décomposer les mots en syllabes et les syllabes
en sons distincts. Il y avait donc
à la fois des capacités de perception visuelle et auditive et des capacités
d’analyse et de combinaison, sur la base de l’évocation d’un sens pertinent. Certains ont
alors pensé que ces capacités de perception auditives pouvaient être
améliorées et pourraient alors aider les enfants à réaliser les liens : mots , syllabes, sons. On a donc cherché à faire
entendre aux élèves les sons qui composaient les syllabes et mots,
ce qui ne se pratiquait pas du tout
précédemment dans l’apprentissage de la lecture. Les
problèmes d’accès ont alors changé de nature. On n’était plus dans la
recherche d’analyse ou de compréhension d’un code et de signes, identiques
pour tous, mais dans une perception individuelle qui par nature est
différente pour chacun. La production de sons est différente suivant la
personne qui prononce ces sons ( accents,
prononciation plus au moins avalée ou marquée, hauteur de voix, rythme de
scansion ) mais aussi suivant la perception de celui qui l’écoute, pour les
mêmes raisons, liées à la personne et son histoire. L’accès devient donc plus
difficile car il n’est pas identique pour tous, ni dans la production
, ni dans l’écoute. D’autre part cette
perception est par nature « abstraite », c’est à dire que les
sons isolés ne possèdent pas de signification par eux-mêmes. L’enfant ne
réalise pas une analyse de la chaîne orale mais une décomposition en éléments
séparés de ce qu’il produit comme sons. Cette décomposition ne prendra sens
que quand l’enfant deviendra élève, c’est à dire quand il aura commencé à
s’intéresser à l’écrit et qu’il pourra commencer à faire des liens entre les
éléments de la chaîne orale et les éléments du code écrit. Pour qu’un
enfant puisse dire qu’un son est relié à une lettre, que le A entendu est un
A écrit, il faut qu’il sache que le A écrit existe ! C’est bien sur
encore plus difficile pour le ON : un son, deux lettres. Le travail de liaison et donc de composition
ou décomposition de la chaîne orale ne peut se réaliser que quand l’enfant
commence à prendre en compte le principe alphabétique. Ce principe
alphabétique a été construit par des gens qui en ont choisi les éléments et
l’organisation. On ne peut pas demander la même compréhension et la même
analyse à des enfants non lecteurs. Ce n’est pas la même chose d’essayer de
comprendre comment est construit ce principe, quelles règles permettent de
comprendre son organisation (ce qui relève de la compréhension et donc de la
lecture) , que de l’utiliser suivant des règles que
l’on doit donc déjà savoir, avec une connaissance de ses éléments et de leur
combinaison, (ce qui relève de son application, de l’écriture ). La lecture permet , en décomposant des mots écrits, quand c’est
nécessaire, de comprendre une signification : la phrase. L’écriture
permet de composer des
mots pour créer une signification. Ces deux
intentions ne sont pas du même ordre, ne font pas appel aux mêmes capacités
ni aux mêmes zones dans le cerveau … Mais elles se complètent et l’une peut
aider à progresser dans l’autre ! Apprendre à lire
est « plus facile » qu’apprendre à écrire parce que lire fait
appel à une capacité de compréhension d’un message ; ce qui peut se
réaliser sur la base de la connaissance de ce que l’enfant connaît déjà sur
ce même sujet. Il n’a pas forcément besoin de maîtriser tous les éléments
séparés ( lettres, sons, syllabes) ni toutes leurs
combinaisons pour construire une signification. Apprendre à
écrire suppose de connaître et maîtriser les règles d’association et de
combinaison utiles pour écrire les mots choisis. C’est pour cela
que l’enseignement de l’apprentissage de la lecture était pratiqué en CP et
celui de l’écriture en CE1 dans les années 60 .
L’écriture en CP relevait de la copie et du soin. Ce n’est qu’en CE1 qu’on
pratiquait la dictée de mots ou de phrases. On a pu
constater que le Lire- Ecrire , quand il était pratiqué en complémentarité,
permettait à l’élève de progresser plus vite dans les deux domaines .
Quand l’enfant apprend à lire des mots, il opère des « recompositions »
mais sur la base de certaines décompositions qu’il avait déjà faites, vues ou
comprises, et cela lui permet donc, au fur et à mesure, la prise d’indices
supplémentaires. Quand l’enfant
apprend à écrire un mot, il se sert de sa connaissance et de la mémorisation
des éléments isolés et de sa connaissance des règles de leurs combinaisons,
qu’il va ensuite utiliser plus facilement pour lire et « composer »
la lecture d’un autre mot. Mais cela ne
peut fonctionner que sur la base d’éléments repérés ou connus. Quand un élève apprend à lire, il est
nécessaire de ne pas le plonger dans l’inconnu . Non
seulement cela l’insécurise parce que la difficulté est trop importante mais
de plus, il n’a pas la capacité de faire appel à un nombre trop important
d’éléments ou de combinaisons à réaliser. Un nouveau texte à découvrir doit
comporter au moins 80 °/° de mots connus. Cela permet aux
élèves de construire des capacités de décodage en lien avec le sens de la
phrase. Quand un
enfant apprend à écrire
(quand on donne au mot « écrire » le sens de produire de l’écrit et
non celui de maîtriser un geste), il est préférable qu’il puisse exercer
ses capacités sur l’écriture d’un seul mot dont il connaît la
signification et dont la décomposition est possible, sur la base d’éléments ( lettres , sons) qu’il connaît déjà, qu’il a déjà
rencontrés dans d’autres mots qu’il a lus. Il pourra associer décomposition
et recomposition parce qu’il y aura peu de règles à respecter et qu’il aura
la maîtrise des éléments à utiliser. C’est donc bien sur la maîtrise des
règles d’association et de combinaison que pourra se porter sa concentration. C’est sur le va
et vient permanent dans ces deux perceptions : voir et entendre, que se
réalise l’écriture quand la pensée de l’élève est capable d’opérer des
associations et des combinaisons pertinentes. Un enfant non
lecteur ne peut se baser que sur une décomposition sonore qui n’a pas de sens
pour lui quand elle n’est pas encore reliée à son entrée dans le code écrit.
On décompose en unités sonores un
élément que l’on pourrait lire (en lettres, syllabes) uniquement si
cette référence est déjà construite en pensée. Si elle n’est pas construite , elle ne peut pas être évoquée puisqu’elle
n’existe pas. Quand un enfant
tape dans les mains les unités sonores qu’il apprend alors à séparer, cela ne
veut pas dire qu’il a pris conscience de la syllabe. Cette syllabe n’existe
pas pour lui tant qu’il ne sait pas que le mot existe en tant
que « Tout » composé de syllabes. Elle existera pour lui quand
il fera la liaison entre le mot dit , séparé en
unités, et le mot écrit, séparé en unités identiques. Car la syllabe est
l’unité de comparaison identique entre les deux systèmes ( oral et écrit), la liaison qui permet la décomposition
du mot et sa recomposition dans les deux systèmes. Il faut donc que
l’enfant devienne élève, qu’il ne soit plus dans le domaine de la perception
mais dans celui de l’analyse de ses perceptions ; qu’il soit capable
d’évoquer une décomposition de l’écrit, qu’il sache qu’elle est possible, nécessaire
et pertinente , pour que ses perceptions auditives
prennent alors une signification autre que celle d’une perception. Le premier
obstacle à franchir pour
que cette mise en relation soit possible pour l’enfant c’est la prise de conscience
que la chaîne orale est segmentée et que le MOT existe. Un enfant
non lecteur ne sait pas que les mots existent ; il ne pense pas
en mots mais en unités de sens : « le petit cheval bleu » évoque , pour lui, une seule image, pas quatre !
L’enfant non lecteur ne peut évoquer quatre mots séparés parce que l’enfant
ne se sert que de ce qu’il connaît. Si on commence à lui faire séparer la
chaîne orale sur la base de la syllabe sans qu’il ait construit un rapport au
mot, il y a un risque de mélange et de confusion des unités de décomposition
lors de l’entrée dans la lecture. Cela ne veut pas dire que les
décompositions sonores ne sont pas possibles avant le CP, mais qu’elles
doivent être réalisées dans un contexte qui positionne clairement les séparations
sonores en lien avec les capacités des enfants. On peut faire
découvrir à un élève de GS que le mot ANIMAL prononcé ,
peut se décomposer en trois morceaux sonores, trois syllabes : la
syllabe : A, la syllabe NI et la syllabe MAL . On pourra aussi lui montrer
qu’à l’écrit, le mot se compose aussi des trois syllabes, et que pour écrire
chacune de ces syllabes on a utilisé une ou des lettres qu’on lui nomme. On situera donc
clairement la syllabe en lien avec le mot , dans les deux systèmes de
décomposition. (Cela n’est pas
accessible à un élève de MS , sauf exception, parce
qu’il n’a pas encore la capacité de situer trois éléments en inversant leur
ordre, il ne peut pas vérifier la pertinence de ce type de composition .Il
n’a pas encore la capacité de combiner des éléments complexes pour former un
tout, il peut seulement les juxtaposer, les associer. Il en est encore au
stade de la perception. Les comptines ou rimes accentuées de fin de phrase
peuvent par contre commencer à l’aider de décomposer la chaine sonore, ce qui
l’amuse beaucoup.) Il faudra aussi situer
le mot et l’aider à prendre une place séparée dans les phrases ou
énoncés. Les titres des albums lus en classe , que
les enfants peuvent mémoriser en GS,
se prêtent facilement à cette segmentation. La mémorisation est déjà réalisée
dans la chaîne sonore, la signification est connue ; cela permet d’expliquer la séparation en mots
écrits. « Le petit chaperon rouge », qui est évoqué par
l’enfant dans une seule image mentale,
peut être séparé dans la chaîne sonore sur la base de la syllabe et non sur
celle du mot, par l’enfant qui a pris l’habitude de taper dans ses mains. Il
dira donc qu’il y a 7 mots parce qu’il frappera 7 fois ( en
oubliant le GE de la fin qu’il ne prononcera pas). Celui qui a construit un
rapport à la signification du mot, séparera de manière différente. C’est
ainsi que la notion de l’adjectif va prendre sens et se démarquer de celle
d’un nom commun ou d’un nom propre ( surtout si la lettre majuscule a conservé une pertinence
reliée à celle de la lecture dans laquelle elle possède une importance toute
particulière, ce qui devient difficile quand on écrit tout en lettres
majuscules en maternelle. Il est dommageable de générer une confusion entre
les repères de la lecture et ceux de l’écriture) . Quand un enfant
sépare, et même compare, sur la base de la distinction d’une
lettre qu’il voit : il y a un A « comme mon nom », ou,
« comme dans mon nom », il n’a pas encore pour autant la capacité
de l’analyse que suppose l’entrée dans la combinatoire. Il a compris
éventuellement la pertinence de la graphie d’une lettre, (
sa forme, sa taille ) et il commence à s’intéresser à la pertinence de
la composition du code écrit ( place de la lettre, ordre). Mais il en
reste cependant à une perception et non à une analyse. Quand il aura la
capacité d’utiliser la syllabe comme élément de comparaison entre le mot
prononcé et le mot écrit , il sera prêt à entrer
dans la décomposition. : il y a PA comme dans PAPA. Si cette remarque
reste située dans une seule perception, qu’elle soit visuelle ou auditive , il n’a pas encore construit la capacité de réaliser une liaison
d’analyse dans les deux systèmes. Quand il
commence à utiliser la décomposition, on peut mettre en relation cette unité
commune qu’est la syllabe, dans la décomposition orale et écrite. Le PA
entendu s’écrit avec un P et un A. Le P avec un I se dirait PI. Il y a alors
balancement entre l’oral et l’écrit , au rythme de
l’élève. Les sons et les lettres vont être reliés dans la composition d’une syllabe,
mais à chaque fois en référence avec le mot et sa signification
. L’analyse va
ensuite évoluer : MA comme dans MAMAN mais aussi comme dans LAMA. Toutes
les variations des places de la syllabe vont être opérées en substitution. La décomposition
de la syllabe va se réaliser quand l’élève va compare MA, RA, LA ou MI, MU,
MA ; c’est à dire que là encore il va opérer une analyse
, sous la forme de substitutions dont il ressentira le besoin et dont
il va s’emparer souvent ensuite sur le mode du jeu. Il ne sera pas toujours
capable d’énoncer la règle d’appariement mais il aura compris son
fonctionnement. C’est quand il va devoir l’utiliser pour écrire un mot que
cette règle va apparaître comme un besoin et comme une nécessité et qu’il va
ensuite, au fur et à mesure, la mémoriser . Conclusion … -
Ne pas
aller trop vite… -
Ne pas
confondre analyse et perception -
Rester en
lien permanent avec le sens -
Allier
Ecriture et Lecture des mots mais ne pas se tromper d’objectifs dans les deux
activités : Lire c’est
Regarder des mots écrits pour comprendre une signification qu’on ne connaît
pas encore, sur la base d’indices que l’on met en lien. Ecrire c’est
Ecouter ce que l’on dit , s’appuyer sur la
décomposition sonore des mots que l’on connaît, et utiliser les règles d’association
et de combinaison que l’on connaît (mais aussi utiliser sa mémoire pour
écrire l’orthographe des mots que l’on connait déjà) pour donner trace à une
signification qu’on a choisie. |