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L’autonomie…

 

Le plus grand service que l’on puisse rendre à un enfant dès son plus jeune âge c’est lui faire comprendre qu’il peut résoudre seul un grand nombre de difficultés et que s’il a besoin d’aide il y aura toujours quelqu’un qui l’aime et qui l’accueillera avec plaisir, pour l’aider, mais pas pour faire à sa place !

Ce qui signifie aussi qu’on lui parlera très tôt, non pas constamment de lui, mais de ce qui l’entoure, et que donc son importance et sa place seront définies très tôt comme relevant d’un ensemble élargi qui du coup prendra sens pour lui et lui donnera très tôt l’envie de regarder autour de lui , d’expérimenter et de chercher à comprendre comment tout cela se passe et fonctionne.

La nature relève d’un incontournable pour le genre humain dans sa diversité comme dans sa richesse. Montrer au plus jeune enfant en termes évocateurs, imagés et précis à la fois, que ce qui nous entoure est beau, différent et précieux permet à l’enfant de se décentrer de lui même , d’apprendre à regarder, et cela éveille sa curiosité et donc son intelligence .

L’école permet à l’enfant de comprendre ce que signifie vivre avec d’autres, d’autres enfants et d’autres adultes. Les lieux sont différents ainsi que le rythme de la journée et les activités qui sont proposées sont à partager avec d’autres. Les règles de vie sont donc différentes de celles de la maison et de la famille. Il est important de préciser très tôt aux enfants le pourquoi et le comment de ces différences et de montrer aussi l’intérêt de cette nouvelle vie : des copains, de nouvelles activités et donc de nouveaux savoirs et savoir faire.

Tout cela prend sens pour l’enfant quand il peut le raconter , le dire et donc l’évoquer c’est à dire le reconstruire par la pensée. Si l’enfant est habitué très jeune à des possibilités d’évocation et de référence dans le langage de son entourage , il essaiera lui aussi  d’évoquer dans ses propos en termes de références : couleur, taille, formes position, et même cherchera très tôt à établir des causalités : c’est parce que…

Quand un enfant se considère comme le « centre du monde » ou de la pensée de papa ou maman parce qu’on lui accorde trop d’importance, il ne cherche pas à regarder ou comprendre ce qui l’entoure. Ses jeux resteront centrés sur ce qui le valorise ou lui permet de parler de lui. Son imaginaire envahira ses activités parce que cela lui offre la possibilité d’être toujours aux commandes et de  parler de ce qu’il veut et de ce qu’il peut, puisqu’on ne lui a pas offert la possibilité de regarder ailleurs avec intérêt.

Il semble donc fondamental de parler aux jeunes enfants avec un langage qui utilise les différentes formes des registres de langue ( qui utilisent les différents temps avec leur concordance et leurs connecteurs ) , qui nomme et précise par des adjectifs , par des prépositions, les  rapports à ce qui permet de qualifier ce qui nous entoure. Il est nécessaire aussi de développer devant l’enfant tout ce qui relie : cause, effets, conséquences et de lui demander à lui aussi de réagir en fonction de tous ces qualificatifs : «  Tu ne voudrais pas m’apporter la petite boite rouge qui se trouve sur la table basse dans le salon, celle que nous avons achetée hier ? » Le supposer capable de comprendre relève de la confiance et du possible et cela encourage l’enfant dans sa recherche. S’il a besoin d’aide on n’ira pas chercher la boite à sa place, même si ça va plus vite…., mais on lui donnera de nouveaux détails précis pour qu’il puisse y parvenir et que donc il rentre dans l’univers de la diversité et de la précision du langage !

Cela conduira son intelligence du monde mais aussi son autonomie, sa possibilité de mettre lui même les choses en relation et donc de ne pas dépendre de quelqu’un pour y arriver. Il le fera donc de lui même et il jouera donc souvent seul ou avec ses frères et sœurs ou ses copains, en parlant, en évoquant des possibles à sa façon.

Laisser un enfant «  s’occuper » lui même, lui offre la possibilité de regarder et de construire à sa façon. Laisser un enfant jouer seul ou «  s’ennuyer  »  c’est lui offrir du temps pour s’organiser, inventer, réfléchir, regarder ce qui se passe autour de lui.

Notre société cherche à tout prix à occuper les enfants sans cesse, au nom du plaisir ou de l’éveil, sans réaliser qu’elle occulte ainsi le pouvoir de l’expression et de la création de celui qui est alors « conduit » sur des chemins qui ne sont pas les siens. Ces enfants sont donc « éveillés » mais qu’est-ce que cela recouvre ? Cet éveil relève-t-il d’un accès à l’information dans des domaines qui étaient autrefois abordés beaucoup plus tard, relève-il d’une forme d’accès au plaisir ? Mais le plaisir offre-t-il toujours le bien- être et l’épanouissement quand il n’est pas

« construit » c’est à dire délibérément recherché par celui qui parfois le subit ?

Le rythme des enfants est souvent oublié et dépend alors de la volonté des adultes qui , au nom de l’éveil, de l’accès à…, pensent offrir un plus, toujours plus , en terme de quantité. La qualité du choix dépend souvent de la possibilité que l’on a de Vraiment pouvoir choisir. Choisir c’est renoncer. Et renoncer, ce n’est pas facile… Un enfant a souvent besoin de temps et de calme pour réaliser ce que choisir signifie. Les symboles initiatiques qui traduisaient les possibilités d’accès au monde des Grands sont offerts et utilisés de plus en plus tôt, sans réflexion des adultes sur ce que cela fait supporter aux enfants. On offrait une montre à 12 ans parce que cela signifiait que l’on était devenu capable de lire l’heure et de gérer Son Temps. Les enfants reçoivent maintenant cette montre très tôt et elle est donc perçue comme un jouet parce que le plus souvent les enfants ne sont pas encore capable de lire l’heure quand ils la reçoivent. Quel sens de la réalité et de la vie cela construit-il ?

Les cadeaux étaient offerts avec parcimonie parce qu’ils signifiaient une prise de décision, un choix et que cela

« coûtait » un certain prix, dans tous les sens du mot. Offrir tout , comme cela se pratique maintenant, dans tous les domaines et très tôt, ne permet plus à l’enfant de prendre des repères, de regarder les autres, plus âgés, faire, pour ensuite pouvoir réaliser un vrai choix . L’éveil corporel , l’éveil musical et autres… sont des temps qui tuent l’enfance, qui obligent les jeunes enfants à se plier à des rythmes et à des découvertes qui ne sont pas celles que leur âge permet de construire quand on les laisse découvrir le monde qui se trouve à leur portée.

La responsabilité et l’autonomie se construisent aussi comme cela , dans le temps et l’observation de ce que font les Grands, et cela conduit alors l’envie d’imiter, vraiment.

Cela conduit aussi à utiliser certains mots, ceux de l’expression pleinement affirmée,  et non pas ceux qui sont toujours utilisés dans certains domaines et d’une certaine façon, par ceux qui savent….

La liberté se construit peut-être pleinement dans la possibilité que l’on offre à l’enfant de vivre son enfance à son rythme , avec la curiosité de son âge sur ce qui l’entoure, avec des temps « pleins » de famille, d’école, mais aussi avec des temps « vides » pour organiser de vrais loisirs, de vrais jeux , ceux qui traduisent le besoin de la vie : courir, escalader, grimper, sauter par dessus, fabriquer …, regarder les bêtes et les plantes, avec d’autres enfants qui en savent plus ou moins sur tout cela et qui offrent des modèles sur les véritables possibilités de l’enfance.

Que pouvons-nous offrir aux enfants comme modèle éducatif ,et comme modèle pédagogique, si nous ne mettons plus au cœur de notre quotidien ce que la vie nous offre en terme de possibilités , comme en terme de difficultés ?

Quel regard et quel projet les enfants peuvent-ils porter sur un monde qui cherche  sans cesse à les faire s’évader de la réalité pour offrir des compensations illusoires et futiles , brèves et sans espérances ?

Il me semble que Freinet offrait une réflexion sur ce que l’enfance pouvait offrir de richesse quand elle était vécue « naturellement » et ce n’est pas sans objet qu’il avait intitulé son ouvrage principal : « L’Education au travail » .

Quelle place peuvent-ils prendre, ces enfants, si leur projet n’est pas relié à l’identité de leur personne et à sa volonté de réaliser quelque chose dans la société , par le travail ? Se sentir utile, par le travail que l’on réalise, quand il est bien fait…, cela ne donne-t-il pas à chacun l’envie de continuer, dans sa différence mais avec le sentiment d’une  reconnaissance qui pousse à chercher à faire mieux encore ?

Sur quels modèles les enfants  peuvent-ils s’appuyer désormais dans une société qui pousse l’individu à rechercher son plaisir avant son appartenance à la société, Ses droits avant ses devoirs ? Oublier que l’on fait partie d’une société qui vit sur une seule planète ne sera plus possible si l’on veut que ces enfants puissent avoir un avenir, et un avenir qui serait le leur , et non pas celui que certains voudraient leur faire subir !

Il est peut-être encore temps de montrer aux enfants ce qui les attend , de leur montrer la réalité et de les faire réfléchir sur ce qui existe vraiment, pour qu’ils puissent trouver l’envie et les moyens de chercher des solutions à tous les problèmes que nous avons occasionnés par nos inconséquences, par notre volonté insensée de plaisir de tout prendre, tout utiliser, et tout découvrir, pour en tirer un « profit » que les générations futures vont devoir « payer » et assumer à notre place.

Qu’au moins nous soyons capables de leur dire qu’il ne faut pas faire ce que nous avons fait… et que s’atteler à la tâche non seulement est nécessaire mais peut aussi offrir un nouveau modèle social qui permettrait de retrouver des liens de solidarité et de responsabilité qui sont paraît-il le propre du genre humain, du moins certains le pensent-ils encore … !

Nous y sommes, disait Fred Vargas. Et bien oui et que faisons-nous, les enseignants ?

Nos commandes de classe, nos projets en terme d’apprentissages ( de quoi ? ), la répartition des élèves dans les classes, l’aide personnalisée l’année prochaine, l’inscription sur Base-Elèves, les évaluations qui seront faites et inscrites dans des fichiers informatiques nationaux, et la solidarité avec ceux qui ont encore le courage de dire non…, avons-nous pris la mesure de ce que tout cela engage pour l’avenir de ces enfants ?

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