Mécanismes et
compréhension : le droit d’apprendre à Penser !
Quand
on apprend à poser une soustraction avec des dizaines ( 67
– 53) en demandant à l’enfant d’appliquer une règle : 6 – 7 = 2 et 5 – 3
= 2, on demande à l’enfant de raisonner comme s’il était question de la
soustraction de « chiffres » juxtaposés . Il n’est plus question
d’un nombre : 67 auquel on enlève un morceau qui est un autre
nombre : 53, ce qui a pour résultat qu’il reste un morceau qui est aussi
un nombre ( 24) né de cette opération c’est à dire
de cette transformation du réel. Il y en avait 67 ; on en a enlevé 53 et
du coup il en reste 24. Il
s’agit bien de quelque chose qui s’est passé et d’une conclusion à chercher
par rapport à l’évolution d’une situation qui a un sens . Cela
suppose aussi de comprendre que, si l’on remet ensemble les deux
morceaux : celui qu’on a enlevé ( 53) et celui
qui reste ( 24), on revient à la situation initiale et qu’on retrouve donc le
67 qui existait au départ, avant la séparation. Cette capacité de comprendre
le manque, le morceau que l’on enlève, pour évoquer un reste
, n’est pas accessible à un enfant qui n’a pas acquis la pensée
« réversible ». Cette réversibilité de la pensée peut se réaliser
quand l’enfant se situe dans le temps et comprend la relation entre le temps
présent, ce qui se passera après et ce qui s’est passé avant. Cette
capacité à évoquer un manque, pour le compléter par un reste, ne peut se
construire chez un enfant pour qui le nombre ne signifie pas un tout, dont la
quantité varie, non pas en fonction de sa place dans un ordre ( la suite numérique), mais en fonction des possibilités
de ses décompositions. Quand
le nombre est compris à la fois comme un total et comme un tout qui se
décompose, les notions de transformations et donc les opérations prennent
sens. Si
le nombre est situé seulement comme un élément de la suite que l’on répète
dans l’ordre, la notion d’opération reste vide de sens parce qu’il n’est pas envisagé
par l’enfant que ce nombre peut se décomposer . Il
reste lié à l’idée du cardinal du nombre : c’est 5 . Il
en est de même pour l’addition dont l’apprentissage du mécanisme opératoire
s’effectue assez rapidement chez des enfants qui ajoutent des nombres
dissociés, de faible valeur ( 4 + 5) . Mais
cela ne signifie pas que l’enfant réalise une addition ,
c’est à dire qu’il va trouver une somme, et que cette somme correspond à la
réunion de deux nombres qui peut s’écrire sous une autre forme. Les
choses se corsent quand on atteint la dizaine parce que cette dizaine change
la signification du nombre écrit, qui demande alors la nécessité de deux
chiffres dont la place n’accorde plus la même signification : 11 ce sont
deux 1 mais le premier signifie qu’il y a un groupe de 10 éléments et le
deuxième qu’il y a un seul élément. Il faut donc prendre en compte la
capacité de comprendre ce changement de signification dans l’écriture d’un
nombre pour comprendre ensuite les transformations qui se réalisent dans les
mécanismes opératoires, cette fameuse retenue qu’on ne sait pas où placer et
dont on ne sait pas s’il faut l’ajouter, l’enlever et à quoi. Là
encore la compréhension de l’opération, quelle qu’elle soit
, ne peut se réaliser sans la capacité de réaliser que ce nombre avec
des dizaines va se transformer et que la signification de ces deux chiffres (
qui ne possèdent pas la même signification ) est à prendre en compte en
fonction de leur différence lors de la transformation .Notre système
d’écriture mathématique est basé sur une numération de position. Il faut donc
pénétrer la logique de ce système pour pouvoir l’utiliser à bon escient. Tout
cela suppose donc une capacité de se situer dans le temps et une capacité à
relier les causes et les effets des transformations à réaliser. C’est
pourquoi les enfants ne réalisent pas tous les opérations de la même façon et
c’est pour cela aussi que certains sont capables d’utiliser l’opération
adéquate dans une résolution de problème. Ils ont compris que dans ce
problème la situation de départ se transformait et que cela appelait à mettre
en plus ou avec, ou enlever, pour obtenir le résultat lié à la transformation
de la situation. Cette
compréhension relève de la structuration de la pensée, de la capacité à
percevoir que quelque chose se passe et comment cela se produit, pour en
tirer les conséquences et l’exprimer par une maîtrise du langage mathématique accessible à ce niveau d’âge: l’écriture des
nombres et les mécanismes opératoires. Il
y a donc nécessité de prendre en compte les capacités de l’enfant à
comprendre les situations proposées et à l’accompagner si cela est nécessaire dans cette
compréhension parce que sinon l’enfant ne pratiquera plus l’exercice de sa
pensée. Il réalisera des
« opérations » qui n’auront pas pour lui le sens de transformation d’une
situation mais de mécanismes à appliquer. Il obéira donc aux
injonctions : on met le chiffre en bas, en dessous, mais cela restera
vide de sens, de compréhension. C’est
également ce qui peut se passer quand on veut apprendre à lire à un enfant
en lui demandant de réunir des
éléments du code ( lettres, sons ) pour en fabriquer d’autres et que cela ne
fait pas appel à quelque chose qu’il peut évoquer , avant, et qui donc l’aide
à mettre du sens dans cette association d’éléments. Quand on associe deux
lettres pour former une syllabe mais qu’on ne sait pas vers quel mot on
se dirige, on peut dire n’importe quoi puisqu’on a
aucun élément de référence. Car c’est dans ce qu’on connaît déjà que l’on
cherche la signification de ce qui est écrit. Si le mot à lire ne fait pas
partie du vocabulaire du lecteur
celui-ci ne pourra qu’énoncer une suite de sons dont il ne pourra pas
valider la pertinence. Il ne saura pas si ce qu’il aura dit possède une
signification. C’est à ce titre que la lecture ou l’écriture de syllabes
isolées ne peuvent permettre que de vérifier si l’enfant est capable
d’associer deux lettres ou deux phonèmes mais cela ne veut pas dire que
l’enfant est lecteur. L’obstacle le plus important dans l’apprentissage de la lecture c’est
la compréhension du statut du mot dans notre langue. Un enfant non lecteur ne
pense pas en mot. Il pense en
unité de sens : le grand chat noir ; cela lui évoque une seule image . Pour faire prendre conscience à l’enfant que l’on
écrit en mot il faut pouvoir s’appuyer sur ce que l’enfant connaît déjà dans
la langue : les propriétés ( couleur, taille,
forme), les compléments, et lui
montrer que ces éléments qui renseignent sur le mot principal ( en général le
sujet et souvent un personnage ) sont écrits en unités distinctes. C’est à
partir de la grammaire implicite, que l’enfant a déjà construite à partir de
l’écoute des langages de son entourage, que l’enfant lecteur va procéder dans
sa lecture à une segmentation de la chaîne orale qu’il utilise. C’est aussi à
partir de la richesse et de la variété de ces langages qu’il va construire
des éléments de référence qui vont lui permettre d’évoquer lors de sa lecture
tel mot qui pourra lui sembler pertinent, en fonction du contexte des autres
mots déjà lus, et des indices qu’il va prendre en compte lors de la lecture
du mot. C’est pour cela que certains peuvent rapidement évoquer le mot juste.
Ils peuvent tout de suite vérifier par le sens de ce qui est dit que cela
correspond à ce qu’ils ont perçu dans le mot écrit. Le
vocabulaire de chacun se situe dans la proximité et dans l’usage, pour un
grand nombre de mots . C’est donc en utilisant
souvent les mêmes mots dans des situations qui font appel à leur usage que la
mémorisation se réalise naturellement. L’émotion (l’intérêt, la surprise, l’humour ) peuvent aussi permettre la mémorisation d’un
mot particulier . Le tricératops est un mot que certains enfants passionnés
par les dinosaures connaissent parfaitement . La
maternelle pour donner un accès plus riche et plus ouvert à toutes les
dominantes de la langue devrait donc permettre l’écoute régulière et
fréquente de textes diversifiés dans leurs genres (contes, littérature de
jeunesse, documentaires, recettes etc…) et
favoriser l’accompagnement de cette écoute par des relectures avec un enfant
ou plusieurs qui peuvent répéter, questionner et compléter ainsi leur
compréhension de ces lectures. La
lecture suppose une recherche de sens, la compréhension d’un message ;
ce qui guide la recherche et permet de vérifier si les indices que l’on
connaît et que l’on prend en compte donne un résultat qui prend sens.( Le …. flotte sur l’eau.) Il reste encore à vérifier pour l’apprenti
lecteur si tous les indices sont pris en compte car le mot à trouver peut
aussi bien être « navire » que « bateau » mais si on
regarde bien les lettres qui le composent la vérification est vite
faite : bateau ça ne peut pas commencer par un n, ou par na, suivant les
possibilités de référence de chacun. Par
contre quand on décompose un mot qu’on veut écrire, on prend appui sur ce
qu’on connaît, le mot à écrire que l’on peut prononcer ; c’est à partir de cette prononciation que
la décomposition en sons distincts, en phonèmes, peut permettre de chercher
quels sont les éléments qui les composent : bateau ça commence par ba et pour faire ba il faut un
B avec un A. mais peut-être qu’on l’a déjà écrit et qu’on peut chercher où il
est affiché pour regarder comment ça s’écrit …Ce qui évite de faire une
erreur d’orthographe car ce sont des règles d’orthographe et non de
phonétique qui régissent l’organisation de notre langue écrite… On est bien alors dans une interaction
lecture-écriture qui s’épaulent et se complètent et permettent à chacun de
s’appuyer sur des références qui sont les siennes mais en ayant la
possibilité de référer à une culture commune de référence : les phrases
déjà écrites. Ces
références permettent l’autonomie de recherche et favorisent la compréhension
rapide de celui qui deviendra alors un bon lecteur : celui qui ne se
perd pas dans le labyrinthe d’un déchiffrage laborieux, lent et peu motivant. Que
ce soit pour pénétrer dans notre système d’écriture alphabétique ou dans
notre système d’écriture mathématique , la recherche
de sens favorisera la rapidité de compréhension et de réalisation. On oublie
souvent que le langage a pour finalité de permettre l’expression d’une pensée
qui cherche à organiser le monde qui
l’entoure. La maîtrise de la langue favorise le rapport à l’autre. La
maîtrise du langage mathématique favorise
le rapport au monde naturel dans sa complexité. Cela
devrait être un droit pour chaque enfant de pouvoir développer des stratégies
de recherche pour développer et structurer ses capacités de raisonnement . Cela
passe par la reconnaissance de l’erreur comme source d’apprentissage, par le
développement de l’esprit critique et de l’écoute d’un point de vue différent . Cela donne place à la capacité de s’exprimer
dans ces deux langages et de les utiliser quand ils sont nécessaires et
pertinents. Cela
relève du droit à l’éducation quand il est fondé sur le respect de la
personne et qu’il cherche à développer son émancipation. Dans certaines sociétés on pense que c’est
comme cela que l’on peut bâtir une démocratie …. |