Programmes, évaluations et
pratiques
Texte écrit en 2008 ….
Programme :
exposés des intentions d’une
personne, d’un groupe. 1800 :
ensemble des matières, des questions sur lesquelles peuvent être interrogées
les candidats à un examen ou à un concours , ou
qu’on doit apprendre dans une classe déterminée… 1950 :
ensemble d’instructions, de données, ou d’expressions enregistrées sur un
support et nécessaires à l’exécution d’une suite d’opérations déterminées,
demandées à un ordinateur … Jusque
dans les années 6O les choses étaient claires, il y avait deux voies
différentes : la voie des connaissances pratiques évaluées par le
certificat d’études et qui permettait de trouver un métier ( artisan
petit commerçant, ouvrier), et la voie
réservée à l’élite qui poursuivait ses études au lycée , (appelé ainsi dès la
6 ème) et qui offrait alors l’étude des lettres
classiques, (des textes anciens, des langues anciennes) réservées à ceux qui
pourraient ensuite exercer une profession valorisée non seulement par la
rémunération afférente mais aussi par le savoir qu’elle était censée dominer;
on pouvait alors prétendre à devenir docteur, avocat, enseignant. Puis
avec les années 70 des lumières différentes ont éclairé cette « harmonie
sociale » précise et
efficace .Les pédagogues de l’éducation commencent à être entendus,
diffusés et reconnus et cela donne
naissance à une écoute des théories sur le développement de l’enfant puis à
un développement de courants de recherches sur toutes les pratiques
pédagogiques et situations d’enseignement . On va
assister à une volonté de démocratiser l’enseignement et d’offrir à tous des
études longues et c’est l’avènement du collège unique. D’autre part une
volonté de donner des droits à l’élève et de l’ouvrir sur le monde donnera
naissance à la pédagogie de l’éveil.
Et enfin la volonté de valoriser dès le plus jeune âge le passage à
l’abstraction laissera place à la réforme des maths modernes. Le
problème c’est que, comme toujours, aucune de ces réformes de pensée ne fut
accompagnée d’une réflexion sur les tenants et aboutissants de ces
changements au niveau des structures , sur la
formation des enseignants et sur l’incidence en terme de pratiques. En
1989 la réforme des cycles essaie généreusement de donner du temps à l’élève
pour favoriser les acquisitions et l’on commence à parler de compétences et
non plus seulement d’acquisitions de connaissances. Les courants de recherche
se penchent sur toutes les directions de l’apprentissage et se différencient
de plus en plus. La démarcation entre les pédagogues et les républicains
s’affirme. L’objectif annoncé pour le lycée sera d’essayer de conduire 80 °/° d’une classe d’âge au bac. Les ZEP vont
être instituées avec la volonté de regrouper
ceux qui ont besoin d’aide et à qui ont va donner plus de moyens . Toutes ces orientation
traduisent un foisonnement de recherches et une volonté de « mettre
l’élève au centre » pour
favoriser « l’école de la réussite. » Malheureusement
tout cela fonctionne en circuit fermé . Il n’y a
toujours pas de réflexion d’ensemble sur les tenants et les aboutissants …
Les savoirs scolaires sont de plus en plus abstraits ,
formels, basés sur les critères de la classe moyenne dans laquelle se situent
maintenant les enseignants et la fracture sociale s’est accentuée. Les
filières de sélection et d’orientation sont repérées par ceux qui connaissent
le fonctionnement du système scolaire et les écarts se creusent
. Le nombre des élèves en difficultés
devient visible et même gênant, en particulier quand il faut gérer des
classes dont la population diffère en terme de
rapport à l’école et encore plus quand elles regroupent les enfants qui ne
portent plus aucun projet scolaire parce que leur famille est en situation
d’exclusion ou de précarité. On ne pense toujours pas à questionner le système et son fonctionnement .
On préfère « questionner » les capacités ou compétences des élèves
en expliquant leurs difficultés scolaires par leur origine sociale qui les
situe dès le plus jeune âge comme « en difficulté ». Les
pratiques : Elles
restent pour la plupart ancrée dans l’idée d’une répétition d’exercices pour installer les connaissances, d’une succession
d’activités programmées pour que Le Programme soit vu dans son entier, d’une
organisation du temps scolaire en domaines disciplinaires ou en activités
résolument scolaires qui catégorisent les apprentissages : grammaire, orthographe ,mathématique. Quand on parle de connaissance
du monde on revient très vite à une progression des temps historiques repérés
par des dates ou des évènements et la connaissance du vivant tourne autour de
concepts généraux ( respiration, digestion) qui sont explicités eux aussi en
termes de connaissances programmées , du plus simple au plus complexe,
suivant l’âge des élèves. On donne plus
souvent la parole aux élèves : on écoute ce qu’ils ont à dire , on fait même place à leurs représentations. Mais on
continue cependant à ignorer leur questionnements, leurs points de vue, leur
esprit critique puisqu’il s’agit toujours de dictées d’évaluations,
d’exercices d’entraînements identiques pour tous , décontextualisés
des savoir faire des élèves, et de traces écrites qui prennent la plupart du
temps la seule forme de l’apprentissage reconnu , validée par le fait
qu’elles démontrent ( aux parents, aux collègues et à l’inspecteur !)
que l’élève a travaillé ! Comment un élève pourrait-il devenir autonome
quand on lui dit toute la journée ce qu’il doit faire ? Comment
pourrait-il exercer ses capacités de réflexion quand on lui présente les
Savoirs comme une suite d’éléments codés incontournables, invérifiables et
non contestables ? La
validation s’effectue toujours par le moyen de cette fameuse trace écrite , délivrée sous forme d’exercices censés
représenter la liste des éléments du programme , dans l’ordre de
l’acquisition ! Comment un élève pourrait-il aimer écrire quand toute
trace écrite est soumise à jugement ou notation ? Il
y aurait bien sur contradiction avec une pédagogie qui laisse à l’élève le
droit de choisir, de critiquer, de questionner la validité des connaissances
, aussi bien celle du maître que celle de ses sources … car se poseraient
ensuite les questions de la pratique de l’enseignant qui ne peut plus
organiser de progression, qui est amené à répondre à des sujets qu’il n’a pas
préparés la veille ou pour lesquels il
ne possède pas « toutes » les réponses ! Comment pourrait-il
alors construire une grille de contrôle des savoirs acquis … ? Les
Représentations sur la mission de l’école : Elles
fondent le rapport aux savoirs et la mise en place des pratiques : elles
sont le plus souvent basées sur le mérite ( travailles
et tu y arriveras ) ou sur le don ( il n’est pas fait pour ça ) avec
bien sur une catégorisation qui relie le tout : l’origine sociale, qui
explique qu’il ne va pas y arriver parce qu’il n’est pas fait pour ça ;
il n’a pas eu à la maison ce qu’il fallait pour … Et on parle de
démocratie ? Le
rapport aux savoirs : Quand
Brissiau parle de la construction du nombre il
développe l’idée que pour comprendre le nombre 5 il faut pouvoir comprendre
qu’il s’agit d’un groupe de 5 éléments et que c’est le total de ces éléments
qui est pris en compte . Il conseille donc de nommer le groupe dans son
entier ( il y a cinq chats) ou dans ses décompositions ( il y a 2
et encore 3 et ça veut dire qu’il y en a 5 ), et non de s’appuyer sur l’ordre
de la comptine numérique ( qui n’est qu’une suite de mots répétés et vides de
sens : 1,2,3,4,5 , parfois mêmes non isolés dans la tête de l’enfant).La
comptine numérique relie le mot prononcé à l’élément désigné : celui
s’appelle 1 , celui-ci s’appelle 2 et le dernier s’appelle 5 . L’élève
pense donc que chaque élément possède un nom et désigne le dernier élément
nommé quand on lui demande combien il y en a. Il n’a pas compris qu’il
s’agissait de prendre en compte l’ensemble du groupe. Brissiau propose aussi de favoriser la
construction du nombre en s’appuyant sur la comparaison avec une collection
équivalente en nombre mais dont les éléments sont différents et que nous
possédons tous : les doigts. Il s’agit donc pour l’enfant de s’appuyer
sur une comparaison de collections : 3 jetons sur la table, c’est 3
doigts levés pour savoir combien il y en a et il s’agit bien alors de
l’évocation du nombre puisque les éléments comparés ne sont pas de même
nature et ne possèdent pas les mêmes propriétés (taille, forme couleur,
position). L’élève est donc amené , dès le plus
jeune age à comparer , à construire des collections
différentes et à passer par dessus les propriétés des éléments qu’il perçoit
pour les dépasser et construire un concept abstrait : le nombre. Cela signifie que quand il s’agit d’évaluer où se situe l’élève par rapport au nombre on peut dire que : -
il a compris qu’un nombre est une collection , un
groupe -
que c’est un total, une totalisation -
que c’est un groupe qui se décompose et se recompose différemment mais qu’on
retrouve le même total -
que les propriétés des éléments ne rentrent pas en ligne de compte -
que ce nombre s’écrit sous la forme d’un ( ou
plusieurs) signe particulier -
que ce signe le désigne lui seul -
que le mot prononcé désigne le total -
qu’il possède une place liée à l’idée que celui qui le précède possède un
élément de moins et celui qui le suit, un élément de plus -
qu’il se situe donc dans une suite ordonnée qui s’énonce toujours de la même
façon Voilà
donc des éléments à prendre en compte pour situer un élève dans la
construction du nombre… Alors
qu’en est-il de l’évaluation ? Et de l’élève en difficulté ? Et
que dire du programme quand on sait que beaucoup d’enseignants, de
conseillers pédagogiques et d’inspecteurs se basent sur le fait qu’il faut
savoir dire la suite numérique dans l’ordre pour apprendre à compter ? Brissiau préconisait de s’appuyer sur des situations
additives et soustractives . C’est bien sur cette
voie qu’il a crée les albums à compter et les cartes questions réponses qui
demandent à l’enfant d’évoquer les éléments manquants pour reconstituer le
nombre total. Il
s’agit donc de savoirs construits sur la base de ce qui fonde leur
construction et leur compréhension. Et cela renvoie à la représentation de
ces apprentissages et à leur construction.
Bien évidemment leur validation ne peut se réaliser sur la foi d’un
exercice de répétition de mots, signes ou situations(
nommer 5 le dernier jeton posé sur la table), mais sur la complémentarité de
constats liés à des expériences multiples. Pour
construire le nombre de cette façon il est donc nécessaire d’avoir
« rencontré » Brissiau et d’autres . Ce
n’est que sur la base de ce type de rencontres que l’on pourra construire un
autre regard sur l’évaluation des savoirs et sur les nœuds des difficultés
qui se posent aux enfants. Une « grille d’évaluation » ne
renvoie que la vision de la construction des savoirs de celui qui cherche à
évaluer. Quand
l’élève participe à la construction de ses connaissances et savoir-faire
c’est à partir de ce qu’il dit que l’on peut chercher à compléter, avec lui.
Qu’as-tu appris à l’école aujourd’hui ? Qu’est-ce que tu penses avoir
réussi, et quand est-ce que tu as trouvé difficile et pourquoi ? Les
savoirs des enseignants sont-ils construits de façon à leur permettre
d’identifier la cause ou la nature des difficultés rencontrées par les
élèves ? Pourquoi y-a-t-il une demande si forte auprès des collègues de
RASED ? N’y a-t-il pas un constat d’échec de la formation et des
pratiques pédagogiques, n’y a-t-il pas un abandon, une perte de responsabilité
des enseignants par rapport à ces élèves qui ne sont pas prêts à engloutir la soupe commune ou qui la
contestent ? Est-ce que ce n’est pas pour ceux là qu’on devrait se
questionner sur les éléments du programme ? N’y
a-t-il pas besoin de s’interroger sur la difficulté des enseignants … à
parler en public, à écrire un texte ou à lire des livres de
pédagogie, qui traitent de leur domaine quotidien ? Ils étaient pourtant
pour la plupart du temps de bons élèves , qui
connaissent et respectent les codes sociaux de toutes natures. Comment
peut-on alors exiger des enfants, et encore plus de ceux qui n’ont pas accès
à l’usage de ces codes sociaux, qu’ils aient acquis ces savoir-faire ? Alors les programmes : quelles sont les intentions et de quels groupes ? Continuer
à valider sur les mêmes critères signifie continuer à propager
l’exclusion. Quels que soient ces programmes de même nature, on validera
toujours les mêmes , mais peut-être en moins grand
nombre , parce que cette fois, même les enfants de la classe moyenne pourront
être menacés. Pas par les programmes, mais par le fait que le travail change
de nature et qu’il est de moins en moins facile de trouver une filière ou un
diplôme qui assure l’avenir, de qui que ce soit ! Quelles
représentations des programmes ? De quoi peuvent-ils être
composés ? De connaissances, de savoir-faire, de compétences, de
domaines, de pratiques conseillées, imposées, de méthodes qui définissent les
pratiques , de listes ou manuels qui déterminent la progression, d’outils
informatiques, d’un socle commun, d’une culture commune, de mécanismes, de
listes, de temps définis et mesurés ???? J’ai
apprécié le discours d’ouverture du Salon qui mettait en lien les pratiques
et les savoir-faire dans un registre particulier autour de programmes à
inventer pour penser , mais je n’ai rien vu sur la
place et le rôle de l’évaluation, ni sur l’importance de changements dans nos
pratiques liés à la préservation de la planète. Je
souhaiterais que nous puissions trouver du temps pour réfléchir au niveau de
l’ICEM, dans son ensemble national, pour trouver et fonder une force, parce
qu’il me semble qu’il y aurait la nécessité d’une réflexion profonde sur qui
nous sommes, nous les militants Freinet aujourd’hui, quelles sont nos
priorités aujourd’hui, dans ce monde qui change, avec ce contexte d’urgence
dans notre rapport à la préservation de la planète et dans la préservation de
ce qui reste de droits fondamentaux pour tous, avec une réflexion sur
l’utilisation de tous nos outils , avec un questionnement sur la possibilité
d’organiser des résistances institutionnelles qui protègeraient les
collègues, avec des propositions qui seraient argumentées en termes de
possibles dans la réalité , avec des chercheurs qui prendraient en compte la
nécessité d’une véritable école pour tous, avec l’apport de finlandais ou
autres, qui pourraient expliquer pourquoi et comment on peut trouver une
place valorisante pour chacun. Cela me gêne de penser qu’on fait appel à la
pédagogie Freinet pour pacifier les zones sensibles sans en avoir mesuré ce
que cela peut signifier en terme de récupération et de déni pédagogique. Les
élèves de ces zones auront-ils « le droit » à être évalués sur
d’autres critères de sélection ? Il me semble que notre réflexion sur les programmes ne peut faire
l’économie d’une réflexion sur notre position dans le fonctionnement du
système scolaire. Cela
appelle à mettre en lien causes et effets, programmes, pratiques,
évaluations, sélection. Ces différents axes sont complémentaires et reliés
fondamentalement. On ne peut traiter l’un des aspects sans tomber sur les
autres. Ils font partie d’un système et si nous ne le questionnons pas dans
son ensemble mais sur un seul point nous ne changerons rien
. Les principes de coopération, de tâtonnement peuvent ouvrir
l’élève sur les autres , peuvent lui donner du temps
et des moyens pour apprendre mais ils ne suffiront plus à lui donner une
place si le principe de sélection (sur des bases qui ne respectent pas tous
les savoirs mais en favorisent uniquement certains) n’est pas remis en cause.
Il y a un travail important à mener pour que les représentations changent , pour que la valorisation soit portée sur tous
et dans tous les domaines. Combien de temps nous reste-t-il avant que nous ne
soyons rattrapés par les conséquences de nos choix ? Définir
des priorités et des urgences devient , de mon point
de vue, un axe essentiel à construire dans le mouvement Freinet. Il ne s’agit
pas seulement de contester mais aussi de dire et de construire ce que nous
voulons de différent si nous voulons rester des représentants d’une école
populaire , si nous voulons rester crédibles
dans les écoles populaires, et si nous voulons pouvoir résister aux vagues
institutionnelles de l’école
libérale. Ce sont nos arguments et pratiques solides sur le terrain , alliés à des étayages théoriques et
pédagogiques, qui peuvent nous donner la force et la conviction nécessaires
pour faire autrement et résister. Sur quelles
bases supplémentaires , c’est ce qui reste à définir
…. |