Apprendre à lire en
2004
Dans certaines familles on offre aux bébés de 12 ou 18 mois
quelques grosses briques de couleur pour jouer. L’enfant va les saisir, les
porter à la bouche, les jeter puis les poser l’une à côté de l’autre
, essayer de les accrocher les unes avec les autres etc…
Papa , maman , son frère ou sa sœur vont lui
dire bravo quand il réussira à les accorder d’une manière ou d’une autre. On
lui dira de quelle couleur est la brique , qu’elle est
trop grande ou trop petite, qu’elle va tomber. On ira la lui chercher quand il
la montrera du doigt et on l’aidera à construire quelque chose
.
Plus tard on lui on
en donnera d’autres, des plus petites ; on lui montrera des modèles qu’il
peut réaliser et on l’aidera à le faire. Et puis on lui montrera aussi des
maisons, des avions, bateaux qui ressemblent aux
modèles. On lui offrira des animaux pour jouer dedans, dessus, un moteur pour
faire tourner, avancer etc…Et il inventera des
histoires qui se passent dans ce monde particulier.
Dans ces mêmes familles on offrira à ce bébé un petit livre en
plastique puis en carton, puis des albums . On lui ira
des histoires ; on lui montera des images et on lui dira ce qui est
représenté, ce qui s’y passe et pourquoi.
Bref, cet
enfant aura tout le temps et l’accompagnement nécessaire pour se forger , à son rythme , une construction de tous les savoirs
nécessaires à une entrée positive dans le monde de la connaissance.
Du temps de
Freinet les inégalités existaient bien évidemment. Elles étaient liées le plus
souvent à la position sociale de la personne et l’environnement culturel en
dépendait.
Les repères
culturels étaient reconnus par chacun comme étant les éléments qui conduisaient
cette réussite sociale.
« Lire , écrire, compter » représentait une base difficile
à atteindre pour certains mais cela était admis par tous et n’empêchait pas de
trouver une place dans la société. Le travail manuel avait un caractère de
nécessité reconnue et il trouvait sa place dans l’artisanat
,l’agriculture puis dans le travail à l’usine.
Le livre était
assez rare et il était respecté dans sa forme comme dans son contenu.
Apprendre à
lire consistait alors à connaître l’alphabet puis à assembler les lettres pour
former des syllabes et des mots. On commençait dans un seul livre que l’on
lisait petit à petit.
C’était un
travail laborieux , reconnu comme tel, conduit par un
mentor qui disposait de ce savoir et qui méritait à ce titre le respect .
A
l’école, le manuel pour apprendre à lire était conçu selon la méthode
syllabique.
On privilégiait
l’entrée dans la combinatoire et non dans la compréhension.
La méthode Boscher illustre tout à fait le cheminement consensuel de
l’époque :
une page par jour,
une lettre ou syllabe par jour, des exercices de copie, les mêmes pour tous, en
même temps, assis à sa place, en silence.
L’école
républicaine pense alors que l’égalité consiste à faire faire la même chose à
tout le monde.
Tous les
enfants ne réussissent pas à lire.Alors on fait redoubler, recommencer le même
apprentissage, dans le même livre.
Si l’enfant ne
réussit pas ce n’est pas de la faute du maître, qui sait, mais celle de
l’enfant qui ne travaille pas assez ou qui ne comprend rien.
Aujourd’hui tout a
changé :
La lecture
est devenue une nécessité incontournable pour vivre dans notre société.
Les livres
sont très nombreux, diversifiés, et occupent une place importante dans les
écoles comme dans les grandes surfaces.
Le manuel
de lecture est un support différent dans chaque classe, quand il est utilisé.
L’enfant
ne considère plus le livre comme un outil rare ou précieux .
Il ne
considère plus le lecteur comme étant quelqu’un de particulier, l’école comme
un lieu de travail reconnu , ni l’enseignant comme
quelqu’un que l’on respecte pour le savoir qu’il détient.
L’école a
remplacé la méthode syllabique par ce qu’on l’on appelle la méthode
mixte : on commence par la reconnaissance globale de certains mots que
l’enfant doit mémoriser pour ensuite le faire entrer dans la combinatoire en
utilisant le plus souvent la méthode « phonologique » : on
apprend à voir et entendre les sons dans un mot.
Certaines
classes utilisent un manuel de lecture, d’autres non. Certains enseignants
utilisent des albums, des livres documentaires, fabriquent des supports de leur
choix.
La plupart d’entre
eux font faire des exercices de lecture sous forme de fiches à remplir ou à
cocher : questions sur le texte du jour, discrimination visuelle pour
reconnaître des mots et la fameuse maison des sons quotidienne prend des formes
variées mais aboutit au même type de compétence : dans ce mot j’entends , ou non, tel ou tel son et je vois , ou non, ce
même son.
La diversité
des types d’écrit est prise en compte et on essaie de favoriser la
compréhension en posant des questions sur le sens du texte.
Des situations
d’écriture sont parfois reliées à l’entrée dans la lecture :
correspondance scolaire,
poésie à la manière
de.
On prend en
compte les différences de rythme des enfants en leur proposant des ateliers ou
du travail par groupes.
Les résultats
dans l’apprentissage de la lecture sont très inégalitaires d’une école à
l’autre. Les ZEP qui regroupent les enfants des familles en grande difficulté
sociale ont, pour certaines, des constats d’échec très prononcés. D’autres
semblent se maintenir dans la moyenne nationale.
Dans les autres
école,non ZEP, un certain pourcentage d’enfants fait
état de cette même difficulté à entrer dans la lecture.
POURQOI ?
Pourquoi
certains apprennent-ils à lire et d’autres non ?
Si, LA Réponse,
existait , sous forme de certitude ou de recette,
elle aurait
certainement été diffusée …
La méthode
naturelle consiste à partir de l’enfant, de sa curiosité, et à lui proposer des
matériels ou situations qui vont lui permettre de trouver des réponses à ses
questions.
Ceci n’est
toujours pas réalisé dans la plupart des écoles .
L’enfant est au
centre du système éducatif en tant que sujet passif, que l’on essaie de
comprendre, mais qui le plus souvent n’est pas acteur, auteur, de la
construction de ses apprentissages.
Le sens de la
lecture est construit dans la dimension de la recherche de sens du texte
mais pas dans celui
de la situation pédagogique qui le plus souvent n’est pas une situation de
lecture authentique.
Et cela
devient de plus en plus difficile à réaliser parce que la curiosité des enfants ne
s’exerce plus de la même façon au niveau de l’entrée dans l’écrit.
Quand un
enfant construit un projet de réussite scolaire il porte un regard différent
sur la lecture et les livres. Il va adhérer à la méthode de lecture, quelle
qu’elle soit, et il cherchera à en comprendre les mécanismes. Les liens entre
les lettres, les syllabes, les phonèmes, les mots et le sens d’un texte, seront
construits, plus ou moins vite, mais se construiront.
La qualité et
la force de ces liens sera déterminée par l’encouragement et le type de
réponses personnelles qui lui seront accordées par les adultes de son
entourage : parents, enseignants
ou par les
interactions qui vont s’opérer dans la classe entre les enfants.
Ces enfants
ont construit une estime d’eux-mêmes et des autres qui leur permet d’aborder
les difficultés sans se décourager.
Ils ont aussi
compris que l’information peut et doit être sélectionnée, catégorisée et
critiquée pour devenir pertinente, efficace ou utile.
Quand un enfant ne porte pas cet intérêt à la lecture
, qu’il n’a pas intégré le caractère de nécessité et de pertinence de
l’écrit, il est beaucoup plus difficile de partir de sa curiosité parce tout
reste à construire.
Cela demande du
temps , de la patience,un accueil de ses intérêts
pour conduire à son rythme une médiation qui prenne du sens pour lui.
Cela signifie dans le
concret :
- que l’école maternelle doit rester
un temps et un espace de jeu, d’écoute, de manipulation, à l’intérieur duquel on construit, par
les mots, cette médiation vers les savoirs scolaires qui prendront corps au CP .
Ecouter et lire et écrire
des histoires, chercher des renseignements dans les livres en fonction des
projets mis en œuvre, écrire aux correspondants, aux parents etc …réaliser cahiers de vie, albums, journal de
classe, rimes, comptines, poésies, devinettes avec l’aide des adultes.
- qu’un travail de réflexion doit être construit sur le développement de chaque
enfant, sur celui
de ses intérêts comme sur celui de ses capacités.
Ecouter chaque enfant, lui donner le droit à la parole,
organiser des temps de parole qui permettent
des expressions différentes : je dis, je raconte, je montre,
j’explique, je demande, je voudrais savoir.
- qu’un travail de médiation par la
parole, par l’usage
de la langue dans des situations de communication, d’expression , de jeux symboliques ,
de jeux de mise en scène reste le plus
pertinent pour faire entrer l’enfant dans l’écrit .
Ce qui signifie que l’enseignant participe aux jeux, aux activités , qu’il écoute, note ce qu’il entend ou
remarque,organise ou relance les échanges
et non pas qu’il
regarde les enfants faire des fiches qui ne sont que des représentations d’un
chemin et d’un savoir extérieur à l’enfant
qu’il apporte des matériels qui
favorisent l’expression de la langue et donnent lieu à la construction de
récits : marionnettes, coins jeux dînette, marchande, garage, ferme,
déguisements.
-
que le CP doit accueillir les enfants
dans leur diversité
en partant de ce travail de médiation .
Certains enfants ont encore besoin
de situations de jeux symboliques,
tous ont besoin
de choisir des supports de manipulation qui les aident à construire une
représentation abstraite de la situation : étiquettes, lexiques
personnalisés.
-
que les situations de lecture au CP soient pertinentes, porteuses d’un sens qui sera discuté, voire construit avec l’enfant.
Lecture, seul ou à plusieurs, de
textes donnant des renseignements sur un sujet intéressant
( animaux, cuisine,
bricolage, poésie, jeux) avec lecture aux autres de ce qui a été compris.
Lecture, seul ou à plusieurs, de
textes écrits par d’autres enfants de la classe ou d’ailleurs.
Lecture par groupes, avec
l’enseignant,de phrases récapitulatives des mots
utilisés dans la classe pour faire des textes différents, en demandant aux
enfants s’ils se sont servis de la mémorisation ou de l’analyse pour leur
lecture.
Lecture d’albums par petits morceaux
( avec pour certains recherche sur les mots inconnus,
pour d’autres recherche de sens et en organisant des échanges et confrontations
).
Ecriture à plusieurs de petits
textes (infos à donner, messages, consignes de jeux, histoires, légendes de
dessins, photos, lettres ou cartes à envoyer) à partir des mots du lexique
commun ou de la recherche dans des dictionnaires simples .
-
que les situations d’évaluation sont quotidiennes dans le sens ou l’enseignant remarque les progrès de chacun, que le groupe classe
voit et entend chaque enfant lire le plus souvent possible et qu’il n’est pas
fait appel à des notes ou remarques désobligeantes sur le travail fourni, mais
à ce qui est construit et ce qui reste à construire.
L’enseignant peut utiliser des grilles portant les
noms des enfants avec des critères d’observation sur l’analyse ,la lecture ou l’écriture quotidienne de chacun et
vérifier les progrès, acquisitions ou difficultés.
Cela lui permet de proposer en l’explicitant aux enfants, des
situations de recherche en groupes,avec guidage de sa
part , d’entraînement ou de découverte, sur les supports appropriés en fonction
de ses remarques.
L’enfant peut posséder, individuellement, la liste des
mots de l’année à savoir écrire , la liste des lettres, phonèmes et difficultés
orthographiques qu’il doit apprendre à reconnaître et utiliser et cocher au fur et à
mesure ce qu’il est en mesure de réaliser seul.
Des moments de lecture aux autres sont possibles quotidiennement
pour valoriser l’entraînement et la réussite.
-
que l’entrée dans la lecture ne peut pas se réaliser par ce que l’on
entend mais par ce que l’on voit
parce que lire c’est balayer un texte du regard pour y trouver une
signification.
Cela ne veut pas dire que l’étude des
phonèmes sera inutile mais elle n’est pas un préalable à la lecture ;la construction de la perception des phonèmes se réalise en
même temps que l’entrée dans la combinatoire.
L’enfant de maternelle entend les sons
dominants dans le mot prononcé : les
syllabes MA – MAN
Il entend ensuite la voyelle qui fait
partie de la diphtongue : le A dans MA mais il n’entend pas la
consonne ; quand il peut dire qu’il y a un M dans MA c’est qu’il a fait
appel à une analyse de la syllabe, qu’il est capable de reconstituer
l’assemblage de ces deux lettres et qu’il sait qu’elles constituent cette
syllabe ; il utilise sa compétence de la combinatoire pour discriminer les
éléments et non l’inverse.
C’est ce qu’il fera quand il cherchera
à écrire un mot qu’il ne connaît pas et
c’est ce qui explique les erreurs d’écriture souvent constatées au CP : SA-IN
pour SAPIN.
La première syllabe est construite
parce qu’elle est simple et le plus souvent intégrée et mémorisée comme un
tout, le PA de PAPA ; la deuxième syllabe figure sous la forme de la
diphtongue IN parce que ce son est perçu seul ; il faudra lire à l’enfant le
mot écrit pour qu’il se rende compte que la deuxième syllabe n’est pas
construite et qu’il manque la consonne. Cela explique aussi la difficulté de la
perception des doubles consonnes : CR, PL
C’est donc en
construisant en parallèle la lecture et l’écriture des mots
que la perception des
phonèmes et les compétences d’analyse vont pouvoir s’épauler et se compléter,
au rythme de chacun …
C’est
en offrant des situations de LECTURE et d’ECRITURE,
porteuses de sens parce que Authentiques, répondant à une expression ou une
nécessité, NATURELLES, que l’ENFANT peut trouver une raison
d’être à sa présence à l’école et un
désir de devenir LECTEUR.